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Taxe Carbone : les choix de N. Sarkozy

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Ce sera 17 € par tonne de CO2, sans l'électricité

Image de Sarkozy pendant son discours

Au lendemain du discours de Nicolas Sarkozy dans l'Ain sur l'instauration de la Contribution Climat-Energie, de nombreux points sont encore laissés dans le flou. Cela devrait être clarifié  lors du débat parlementaire à la fin de l'année, ou au pire début 2010 puisque c'est la date à laquelle la Contribution Climat-Energie sera mise en place. Cependant, si l'on se penche sur les affirmations claires et exploitables dans le discours du président, on peut déjà faire un certain nombre de remarques :

  • La taxe Carbone à 17€ la tonne de CO2 : de l'avis unanime des experts et bien sûr des opposants, ce n'est pas assez élevé pour être réellement incitatif à réduire ses consommations d'énergies fossiles ! (certains experts trouvaient déjà qu'à 32 € la tonne, c'était insuffisant)

  • L'électricité est exempte de Taxe Carbone :
    • Nicolas Sarkozy l'a dit à peu près dans ces termes, et François Fillon, lors de son intervention au lendemain du discours du président, a répété la raison de ce choix : "La France produit une électricité d'origine principalement nucléaire et hydro-électrique, qui n'émet pas de gaz à effet de serre". ça a le mérite d'être clair, mais pas celui d'être exact : si la partie de la production issue du parc nucléaire et hydraulique français n'est pas responsable de beaucoup d'émissions de gaz à effet de serre, on ne peut pas en dire autant de la partie de la production nécessaire lors des pics de consommation (l'hiver avec le chauffage, l'été avec la clim' et aux heures de pointes toute l'année), dont le kWh est bien plus carboné. Michel Rocard l'avait pourtant précisé lors de la parution de son rapport : "Si on sort de tout ça (la CCE) avec une incitation à se tourner vers l'électricité plutôt que vers le gaz, par exemple pour le chauffage, on va à contre-emploi parce qu'on aggrave le phénomène de pointe et donc on aggravera la consommation d'énergie fossile. Il faut se débarrasser de cet effet-là". A moins bien sûr que la France s'en tienne à l'idée que N. Sarkozy a exprimée : faire de la France un pays "leader des énergies décarbonnées", avec pour les énergies renouvelables "autant d'argent à la recherche en matière d'énergies renouvelables qu'à celle dans le nucléaire", soit "200 millions d'euros de plus chaque année (...) dans le secteur clé du stockage d'énergie, des énergies marines, des biocarburants de 2ème génération, et de l'énergie solaire"... Pas un mot sur l'éolien - décrié sans raison valable dans notre pays, le stockage de l'énergie qui vient s'immiscer dans les énergies renouvelables par miracle, mais ne chipotons pas : plus d'argent pour les EnR, c'est bon à prendre.
    • François Fillon - toujours sur TF1 - a également clairement dit que le gouvernement voulait encourager le passage au véhicule électrique. Il y a évidemment un risque d'amplification des consommations aux heures de pointes (cf déclaration de M. Rocard, ci-dessus). Concrètement, de nombreux experts clament qu'il n'est pas possible, dans un avenir où la lutte contre le réchauffement climatique est effectivement devenue une priorité, ou bien dans un avenir où le pétrole est devenu trop cher, de garder les mêmes habitudes en matière de transport et de mobilité. Les technologies "de remplacement" ne permettent pas la même liberté, les énergies "de remplacement" (l'électricité ou l'hydrogène, par exemple) se heurtent pour l'instant au problème du stockage.
  • Concernant la progression de la taxe, c'est-à-dire son augmentation pour atteindre les objectifs rappelés par le président (limiter le réchauffement de la Terre à +2°C - objectif préconisé par le GIEC), c'est pour le moment assez flou. Le gouvernement insiste par contre lourdement sur le fait que la Taxe Carbone sera compensée "à l'euro près" pour les ménages et les entreprises (il faut dire que si l'instauration d'un impôt nouveau est généralement impopulaire, de la part d'un gouvernement de droite, c'est presque suicidaire). Des réductions d'impôts ou des chèques verts pour les uns (selon qu'ils sont imposables ou non), la réduction de la taxe professionnelle pour les autres, semble-t-il. Une chose est certaine, le coût préconisé par le rapport Rocard en 2030 (100 € la tonne), pour être sur la bonne voie dans la réalisation de l'objectif facteur 4, n'est plus garanti. François Fillon l'a encore rappelé sur TF1, avant de préciser que la taxe augmentera chaque année et que c'est l'objectif de -20% d'émissions d'ici 2020 (par rapport à 1990) qui est visé dans un premier temps. Wait and see, donc...


  • La redistribution des produits de la taxe se fera "à l'euro près" (le message "pas d'augmentation d'impôts" est bien martelé). D'accord, mais comme ce n'est pas très clair pour l'instant, ça soulève des questions, auxquelles on peut trouver des éléments de réponse dans les déclarations des membres du gouvernement :
    • Jean-Louis Borloo précise avec un exemple : "Vous avez un mode de comportement (automobile, chauffage etc.), il vous coûte 100 euros. On vous dit : on vous rend 100, faites des économies, vouccs serez gagnants". C'est intéressant, mais si tout le monde fait des économies, le gouvernement gagne moins d'argent avec cette taxe, il redistribue moins. Si l'on s'en tient au discours du président et à cet exemple, je dépenserai moins mais on me rendra moins, et l'équilibre sera toujours nul. En quoi cette méthode de redistribution est-elle incitative ?
    • Une étude en cours de l'ADEME, et qui a eu des fuites sur la toile, dit que la Taxe Carbone serait en fait sociale, du fait de son mécanisme de redistribution. M. Sarkozy a dit beaucoup de choses de cette taxe, mais les adjectifs "sociale" ou "de gauche" n'en faisaient pas partie : il y était bien question de restituer les sommes dégagées avec une attention particulière aux familles nombreuses et éloignées, donc contraintes d'avoir une voiture (pour garder leur mode de vie). Je ne vois pas spécialement de social là-dedans : une famille du 16ème arrondissement de Paris peut tout à fait être nombreuse, est-ce à dire qu'elle a besoin qu'on la soutienne devant une taxe qui pourrait lui coûter quelques dizaines d'euros par an ? Il ne reste qu'à espérer que l'aspect social de la Taxe Carbone en soit un effet collatéral...
    • Et puis, si l'on rembourse tout le monde à l'euro près, quand bien même avoir une voiture est indispensable pour certaines personnes, à quel moment cette taxe commencera-t-elle à inciter le citoyen à s'approcher d'un mode de vie "durable" ? En clair, si on rembourse la même chose à deux familles identiques, vivant l'une et l'autre en zone rurale, mais la première circulant à vélo pour les petites courses et emmener les enfants à l'école, et la seconde ne se déplaçant qu'en mini-van ou en 4x4, comment la deuxième famille, pas plus méritante mais touchant la même somme, sera-t-elle sensibilisée sur le fait qu'elle doit évoluer ? Que doit-on comprendre ? Que si l'on veut gagner de l'argent, il faut avoir beaucoup d'enfants et vivre loin des réseaux de transport en commun ? Des effets pervers, si l'on en reste là, sont à prévoir.
    • Enfin, le président dit vouloir "faire exactement la même chose avec la Taxe Carbone [qu'avec le bonus / malus automobile] en envoyant un signal clair et un contrat juste aux français" :
      • Bien sûr, il ne voulait pas parler de l'effet d'aubaine créé par ce bonus / malus, ni de l'insuffisance du seuil de 130 g de CO2 en dessous duquel l'acheteur touche un bonus, alors que l'Europe fixe aux constructeurs automobiles l'objectif minimum de 120 g de CO2"influer sur les comportements et les inciter à changer dans le bon sens". C'est louable. Ce qui est ennuyeux, par contre, c'est de parler de "véhicules propres" pour des véhicules roulant à l'essence ou au gazole : 130 g de CO2 par km, pour une voiture récente, c'est pas terrible, même de grosses berlines font déjà mieux, et les constructeurs en profitent pour ironiser ! Avec cette expression, "véhicules propres", le président risque de faire croire que les véhicules propres existent déjà,  ce qui est faux et maladroit : tout reste à faire en matière de véhicules à moteur "propres"... pour 2012. Il veut plutôt dire
      • Il ne voulait pas non plus parler du fait que le bonus / malus écologique a rapidement coûté beaucoup plus à l'Etat qu'il n'a rapporté, parce que les français ont acheté des véhicules bénéficiant de bonus, effectivement. Or la rapidité avec laquelle cela s'est accompli et le constat que des berlines peuvent déjà revendiquer un bonus montrent bien que cette taxe a été mal calibrée : le bonus n'aurait pas dû être proposé au dessus de 110 g de CO2, avec 120 g de CO2 comme valeur médiane (on aurait donc un malus écologique à partir de 130 g de CO2, alors qu'il commence actuellement à 150 g de CO2).
    • De ce que l'on comprend des paroles du président et de ses ministres,  la somme reçue avec le mécanisme de redistribution n'aurait aucun rapport avec l'exemplarité environnementale ou la capacité à faire face à ces dépenses supplémentaires, ce qui est dommage, mais simplement à des critères géographiques et démographiques. Il semble d'ailleurs ressortir de ces discours que cette somme reçue ne variera pas année après année, et il serait possible de gagner de l'argent de cette façon. L'Etat devrait donc, si cela marche, y être de sa poche rapidement - et cela se cumulera avec le manque à gagner dû à la suppression de la taxe professionnelle. En période de crise, en période de progression rapide de la dette publique, cela semble surprenant de créer une taxe qui va coûter de l'argent à l'Etat !
    • N'oublions pas de préciser que les entreprises payeront la Taxe Carbone au même titre que les particuliers. Elles ne bénéficieront pas de mécanismes de redistribution, puisqu'on supprime la taxe professionnelle. Au risque d'être redondant, rappelons que la taxe professionnelle rapportait 8 à 9 milliards d'euros par an à l'Etat, quand la Taxe Carbone semble ne devoir rien rapporter... La première année ! La suivante elle coûtera de l'argent.
    • Certains secteurs dits "sensibles", recevront des aides de l'état  : la pêche, l'agriculture, etc. Outre que ces secteurs bénéficient déjà de subventions aux allures, tantôt de perfusions, tantôt d'encouragement pour mauvaise conduite, on peut s'étonner d'un mécanisme d'incitation à polluer moins qui prend bien garde à ménager tous les secteurs qui polluent le plus (à l'image des aides multiples au secteur automobile)...
    • Les entreprises déjà soumises aux quotas d'émissions de CO2 - c'est-à-dire tous les sites les plus émetteurs de CO2, qui appartiennent essentiellement aux secteurs de la production d'énergie, de la production et transformation des métaux ferreux, de l'industrie minérale et de la fabrication de papier et de carton - n'auront pas à payer en plus la Taxe Carbone. Le marché des quotas d'émissions de CO2, c'est un dispositif européen qui oblige ces entreprises à acheter des quotas sur le marché si elles émettent plus de CO2 que prévu, et leur permettent donc d'en revendre si elles diminuent suffisamment leurs émissions. Il est intéressant de noter que ce marché n'a pas montré jusqu'à présent l'efficacité escomptée en matière de réduction des émissions, en raison d'un prix de la tonne de CO2 trop faible pour être sérieusement incitatif. Or, François Fillon l'a dit, le prix de la tonne de CO2 pour la Taxe Carbone est une valeur moyenne du prix que la tonne de CO2 sur ce marché. ça promet...
Voici donc quelques unes des questions, des inquiétudes et des satisfactions que ce projet de loi pour la Contribution Climat-Energie.
Pour conclure, quelques réflexions :

  1. L'idée de départ va plutôt dans le bon sens, elle a au moins le mérite d'inaugurer la fiscalité écologique et de permettre aux français de s'y habituer. Cela permettra, plus tard, de la perfectionner. A moins qu'elle ne les en dégoûte : si la Taxe Carbone version Borloo-Sarkozy n'a pas les effets positifs escomptés- et l'on a des raisons de croire que cela peut se produire - ou qu'elle est effectivement injuste sous sa forme actuelle, l'idée même de Taxe Carbone risque d'être sérieusement décrédibilisée auprès des français. Voilà qui serait dommage !
  2. La mise en oeuvre concrète de la CCE est intéressante sur certains points, inquiétante sur d'autres : est-ce que tout cela va vraiment être incitatif ? Les effets pervers ne seront-ils pas pires que les effets vertueux ? Qu'est-ce que c'est que cette taxe qui va coûter de l'argent à l'Etat ?
  3. Mais si l'objectif de -20% d'émissions en 2020 est vraiment visé, sachant que c'est un objectif fixé au niveau européen, donc que la France devra se plier, il est possible la taxe évoluer dans la bonne direction pour l'atteindre...
Bref, on en revient un peu à wait and see, attendons 2010 sans trop d'optimisme, mais plutôt de la vigilance. Un certain nombre d'indices portent en effet à croire à un énième effet de manche du président. Nicolas Sarkozy nous a en effet habitués à ses coups médiatiques visant à faire croire qu'il sauve la planète. Cela se passe toujours de la même façon : il récupère une bonne idée, si possible très populaire  et  que même l'opposition ne peut pas contester. Ensuite, il la vide de tout ce qui fait sa force - juste assez pour ménager les intérêts de lobbys, de particuliers, d'entreprises - mais pas trop, pour pouvoir continuer à poser en sauveur... Il en profite même, dans sa grande bonté, pour faire quelques cadeaux au passage - à des gens dans le besoin. Dans le cas qui nous intéresse, à première vue, le cadeau semble être pour EdF et AREVA, qui n'avaient pas vraiment besoin de ça...

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